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Démarche artistique

Je pratique la gravure, l’écriture performée et le dessin de façon complémentaire. Ces trois médiums se complètent parfaitement dans ma démarche. L’acte de dessiner m’offre le moyen d’explorer de grandes surfaces dont la limite est la possibilité gestuelle et physique de mon corps. La gravure me permet le point mort, la zone obscure, l’envers du dessin. L’écriture performée me permet par la lecture publique d’être au monde de façon fragmenté, nerveuse et physique. Il y a donc dans ma recherche artistique une sorte de va-et-vient qui rebondit d’une technique à une autre.
Si comme nous l’indique Roland Barthes dans « l’empire des signes », le dessin est « un travail de langage », la gravure doit être comprise de l’intérieur, littéralement dans son étymologie. Celle-ci nous renvoie directement au mot « graphien », qui signifie en Grec « écriture ». Le mot « gravure » nous renvoie aussi au mot Allemand « graben » signifiant « fouiller » ou « chercher en creusant».
Ces deux origines possibles du mot « gravure » définissent en partie mes intentions et mes problématiques artistiques : le dessin réalisé comme une écriture nerveuse et précise (écriture automatique ou structure dessinée élémentaire) est un univers complexe comme enfoui que l’on révèle à la lumière.
Ces « monde-univers » prennent place dans l’espace du dessin (feuille de papier ou mur de plâtre) ou dans la plaque de cuivre sous l’aspect de taches, de vanités ou d’éléments proliférants et rizhomatiques.
J’utilise dans mes dessins et gravures des structures obsédantes, simples ou complexes alliant des formes en devenir organique, végétal et minéral. Les mondes que j’explore sont alors en extension ou en effondrement. Souvent en série, mon travail est élaboré comme grand corps biologique et abstrait en mutation.

Problématique de ma démarche

1/Structure, réseau, micro-architecture

En 1999, je commence à me poser la question du dessin à la suite de plusieurs années de pratique de l’estampe. Ce besoin de dessiner correspond à la recherche d’une « base structurelle » pouvant définir des nouvelles perspectives et à la volonté d’avoir une production artistique avec une économie de moyens. Je mets alors en place un protocole de réalisation pour une série de dessins que j’appelle « épidermie ». Pour cela, j’utilise systématiquement dix crayons de la même couleur sur un papier vélin (de format de 1m22 sur 1m60) marouflé sur bois. Le dessin est terminé lorsque la totalité des crayons est usée. Ce dispositif arbitraire me permet d’avancer au hasard sur la feuille de papier : « le hasard alors devient un choix ». Ce hasard devient possible grâce à ce que j’appelle « une matrice processuelle » (voir doc1). Celle-ci est composée d’une architecture évolutive mais néanmoins limitée dans sa progression et pouvant se connecter à une autre architecture similaire mais ne progressant pas nécessairement de la même façon. Ce type de dessin étant réalisé sur table avec un système de caches, je ne peux avoir une vision globale de ce que je réalise, j’opère en quelque sorte en « aveugle » tout en ayant l’usage de mes yeux (contrairement à Robert Morris dans sa série « Blind Time Drawings » qui dessinait les yeux bandés). Le dessin devient un maillage répétitif dont la construction s’organise par connexions. Cette situation de travail me permet de renverser le primat de la vision en art (l’histoire de l’Art s’est créé avec les théories de Vasari et Clément Greenberg autour d’une autorité théorique de la vision), et de mettre au premier plan l’importance du corps et de la main dans la création.

2/Les matrices processuelles

Ces dessins de la série « épidermie » m’ont permis une nouvelle série de cinquante-quatre gravures à plaque perdue « cortex-vortex (fig.2) ». Celle-ci se développe à l’aide d’une seule matrice pour chaque gravure. Cette série est faite d’estampes de couleurs (cinq à dix couleurs superposées) dont le développement se fait à partir d’un hyper-centre.
Cette série est conçue comme une expérience de laboratoire me permettant la recherche de nouvelles formes. Ces gravures m’ont permis de relever des motifs fonctionnant par analogie formelle et rappelant étrangement les phénomènes d’étude de la « théorie du chaos » : nuage, cyclone, arborescence, racine, réseaux capillaires, rameau végétal, flux des veines, méandres, éclair et entrelacs.
À partir d’un processus simple (mais techniquement complexe à mettre en place), j’arrive à obtenir des agencements complexes proches des phénomènes venant de la nature et des forces des développements vitaux.

3/Toile d’araignée, étoilement et labyrinthe

À la suite de cette recherche, j’ai voulu réduire au maximum les développements de mes réseaux afin de supprimer tout caractère figuratif ou illustratif de mes gravures et dessins.
Les séries « Rugines », « formes endogènes » et « empyréum » sont réalisées sur un fond noir imprimé ou peint et fonctionnent comme une suite variable d’opérations à la fois continues et aléatoires. Les développements de ces séries sont réduits à une forme rosacée formant des trajets exponentiels et dispersés (le centre est partout et la circonférence nulle part). Les analogies deviennent plus proches des trames ou des filets.
Pour ces séries, j’ai surtout recherché à enregistrer (le dessin et la gravure peuvent être considérés comme une méthode d’enregistrement des passages de la main ou d’une matrice gravée) les alternances d’ordre et de désordre du mouvement instable de mes constructions. Le dessin devient alors comme un labyrinthe où la pensée se cherche (comme dans les enluminures du Book of Kells Irlandais), une toile d’araignée qui piégerait les mouvements de la main ou encore un étoilement pour retrouver son chemin.

4 /Métamorphose, apparition et disparition

Pour la série « Empyréum », je fabrique une encre très instable (fonctionnant comme une émulsion), et je cherche à travailler sur l’instabilité de ce que je trace. Cette particularité me permet de partir d’une encre très dense puis petit à petit de perdre l’intensité de celle-ci au fur et à mesure du dessin pour arriver à une disparition. Les grands dessins obtenus donnent la sensation d’être infinis (comme dans les peintures de Marc Tobey), d’être un monde émergent ou en entropie dans l’espace du papier.
Mes dessins ou gravures deviennent alors une forme flottante, un monde suspendu et incertain, en devenir organique minéral ou végétal.

5/La gravure monumentale, la gravure comme une performance, le chaos pétrifié

Cette notion de monde émergent est très présent dans la série « l’esprit des cimes » (voir fig). Cette série est réalisée sur de très grandes planches de contre-plaqués à l’aide d’un unique outil (un burin de graveur dont j’optimise toutes les possibilités comme pour la série « Rugines »).
Pour cette série, je suis parti d’une grille tracée, à l’intersection de chaque ligne de celle-ci j’ai installé un fragment dessiné que j’ai connecté en gravant avec d’autres fragments pour constituer un ensemble. Le contre-plaqué étant de très mauvaise qualité, il y avait d’importantes pertes de matière à chaque fois que je gravais celui-ci. Les défauts ont permis de créer des éclats involontaires et de former un grand fragment général ressemblant à une cristallisation. Pour imprimer cette série, j’ai fabriqué une encre transparente bleu noir pour permettre l’apparition des phénomènes de réticulation propre au contact de la matrice gravée et du papier. Cette apparition issue de la séparation de l’estampe et de la matrice nous renvoie directement au principe des « matrices processuelles », mais de façon non contrôlée comme dans les « fractales naturelles » : veines de l’œil, réseaux capillaires, alvéoles ou les empreintes sur le sable du reflux de la marée. L’empreinte me permet de venir au premier plan, elle devient le motif même du processus créateur. Cette série renvoie à la notion de l’ascension que l’on trouve dans l’œuvre de Caspar David Friedrich avec son thème du « wanderer » (le promeneur solitaire dans la peinture « voyageur contemplant une mer de nuages » de 1818), où l’arpenteur des cimes a atteint la limite physique de son parcours et n’a plus d’autres solutions à proposer qu’une expérience devenue alors plus intérieure, entre l’imaginaire et l’introspection face à l’immensité d’un chaos pétrifié comme également pour les séries « Rugines » et « Filandres ». La monumentalité de ces gravures sur bois est évidente, elle nous permet de faire une expérience physique de la gravure, le « regardeur » en se plaçant face à celles-ci est véritablement plongé dans l’estampe. La gravure de très grands formats est une « performance » lorsqu’il faut la graver, mais également au moment de l’impression car cela exige un véritable rituel (codification des déplacements pour une impression : encrage, foulage au pied et décollement de l’estampe). L’estampe devient alors « hors cadre » et permet de sortir de la vignette romantique.

6/Le retour de l’organique

Si l’engagement auprès de la gravure sur bois est très forte depuis 1991, la pratique de l’eau-forte a commencé en 1997, de façon totalement expérimentale (série « Stridulation », les « Oubliées ») en mélangeant toutes les techniques de la gravure en creux et en cherchant à épuiser les possibilités de l’acte de graver en lui-même (action de griffer , de percer, de transpercer, de tracer, utilisation extrême des bains d’acides, utilisation de supports différents, etc..). Le résultat de l’estampe est alors une succession d’états de la plaque gravée et une reprise en partie calculée ou aveugle de celle-ci. Ainsi les rythmes de la création d’une estampe sont posés différemment, ma relation avec la création d’une gravure devient « autre » et me permet de redéfinir et de créer une aptitude à penser, à jouer et rejouer l’œuvre gravée ; l’acide nitrique devient l’élément actif de la gravure, il achève le geste, le boursoufle, le déforme, comme s’il était un élément germinatif. Par la suite, j’ai simplifié énormément ma technique pour aller vers des séries « plus dessinées » (travail à l’eau-forte rehaussée au burin et à l’aquatinte). Les estampes alors sont réalisées avec une alternance d’intentions souvent opposées (minutie extrême et brutalité de morsure avec l’aquatinte par exemple), elles deviennent alors des dérives où le regard se perd comme dans un dédale ou un piège. À partir de 2005, le travail ne va plus se faire réellement en série mais plutôt comme un ensemble. L’évolution de ma production prend désormais un aspect de plus en plus organique. Depuis 2013 la réalisation de mes dessins se fait dans la durée (une pièce peux prendre plus de six mois pour sa réalisation), sur des fonds noirs ( papier marouflé sur châssis) et à l’encre blanche, les réseaux qui travaillent mes dessins et mes estampes sont beaucoup plus chaotiques et font apparaître des formes rappelant des os, des intestins, des racines, des métastases ou des connexions étranges faisant penser à des flux corporels ou des synapses.